Présentation faite à « L’Académie du Coaching ». (04/07/2018)

Ce livre, comme son titre l’indique a deux objectifs : situer La G-Thérapie dans une filiation philosophique et psychologique, tout en mettant en valeur son originalité.
ET, transmettre quelques points de repères théoriques, cliniques et méthodologiques qui fondent la posture du G-thérapeute.

Pour commencer, posons-nous un instant sur ce mot, GESTALT.

Selon Chantal Masquelier-Savatier, son sens reste énigmatique. Il n’y a pas un mot qui le traduit pleinement.

Souvent on utilise le mot «forme». Mais c’est plus complexe.

Pour Laura Perls – une des identités fondatrices de la G-T. – on peut le voir comme un mot recouvrant une multitude de concepts reliés les uns aux autres :

La contenance d’une personne,
son allure, sa silhouette, sa forme, sa figure,
une configuration, une entité structurelle,
et le tout, à la fois plus que la somme des parties,
et différent de celle-ci.

Et le verbe gestalten est même préférable car il comporte l’idée du mouvement : prendre forme, se constituer, se construire, s’organiser, se structurer.

Donc en fait, on parle là, d’un processus de formation, de transformation. De formes en formes. D’instants en instantsPas à pas. 

Et l’auteur nous dit qu’on pourrait – concernant la relation du G-thérapeute et de son patient – parler d’une sorte de danse – et là vous me voyez venir avec mes gros clignotants de coaching – une sorte de danse où les pas de l’un énergétisent les pas de l’autre, et où l’on s’accorde, pour inventer une danse commune.

Une co-création en somme, qui n’annule pas la créativité de l’un ou de l’autre, mais au contraire la potentialise.

Maintenant que nous avons posé ce mot, qui est un premier ancrage, ça nous amène naturellement à tous les autres (fig.1, en bas de page).
Il faut savoir que la Gestalt-Thérapie s’ancre dans la Gestalt-théorie – parce que oui, il existe une Gestalt-théorie qui précède la Gestalt-thérapie – mais aussi :

dans la psychanalyse, la psychologie sociale, 
la psychologie humaniste,
ainsi que la phénoménologie et la philosophie existentielle,
et enfin, les approches corporelles et la philosophie orientale.

Mise en garde de l’auteure : la multi-référentialité peut amener amalgames et brouillage de limites.
Selon elle, si nous gardons un axe directeur ce serait, la filiation directe avec la gestalt-psychologie – du nom de baptême – et l’ancrage phénoménologique, qu’elle appelle le bain nourricier.

D’emblée, avec ces différents enracinements on perçoit bien l’amplitude que j’évoquais : parler de Gestalt-Thérapie c’est entrer dans une vision du monde.

À l’image de cette multi-référentialités, l’élaboration de la gestalt-thérapie, est le fruit d’un travail collectif, qui part de la Vieille Europe et qui rencontre le Nouveau Monde, tout en parcourant les trois quarts du XXème siècle. 

Fritz Perls, par ex, le mari de Laura Perls que j’ai cité plus haut, et qui est lui aussi une des personnalités fondatrices de la G-T, est né en 1893 à Berlin et, est mort en 1970 à Chicago.
Entre les deux, il a fait le tour du monde.
C’est un clin d’œil, mais ça donne bien à voir ce par quoi cette élaboration a pu être traversée et traverser elle-même.

Enfin pour info, LE livre « Gestalt-Therapie » est sorti en 1951.

Si nous rentrons à présent dans l’assise théorique, on pourrait dire qu’il y a 2 piliers fondamentaux à la G-T. :
LA THÉORIE DU SELF et LA PERSPECTIVE DE CHAMP. 

Il semble important d’isoler d’abord 4 notions clés, essentielles à l’approche dans son ensemble, et qui font partie de la théorie du self (fig.2, en bas de page): 

Notion 1 : champ organisme/environnement
S’il y a bien une hypothèse de base c’est que: L’homme est inséparable de l’environnement. 
Ils sont indissociables et s’influencent l’un l’autre.
Comme on ne peut parler d’alimentations sans mentionner les aliments, de la vue sans évoquer la lumière, la parole sans interlocuteur…
Et bien là c’est pareil, et la vision holistique de l’homme non séparé de l’univers est vraiment le fondement de l’approche gestaltiste.

Notion 2 : frontière/contact
C’est Le lieu.
Le lieu d’échange entre organisme et environnement, qui à la fois relie et différencie, l’expérience première, le contact.
C’est le toucher touchant quelque chose. 
Par ex, la peau.
On définit même la Gestalt-thérapie, comme un art du contact, une thérapie du CONTACT.

Notion 3 : ajustement créateur- ajustement conservateur
C’est l’élan.
L’élan qui pousse l’organisme à s’adapter continuellement à la nouveauté. 
L’ajustement conservateur qui est nécessaire à la survie, et l’ajustement créateur qui permet la croissance.

Notion 4 : le self
C’est le système.
Le système de contacts à tous les instants. 
Ses variations suivent les besoins organiques dominants (tout ce qui met en mouvement) et la pression des stimuli de l’environnement.
Donc à distinguer, de la notion de SOI !
Ce n’est pas le sujet ni la personne.

De là, nous pouvons en venir à la «séquence de contact». La séquence entre thérapeute et patient, à proprement parler. 

4 phases se distinguent, mais par phases il faut plutôt visualiser des vagues, quelque chose qui se remanie continuellement (fig.3, en bas de page):

LE PRÉ-CONTACT : « la sensation »
Nous sommes poussées vers quelque chose sans savoir quoi. 
C’est à partir du corps que le besoin se fait sentir.
Donc l’attention du thérapeute va porter sur la manière dont les patients arrivent, se meuvent et se calent sur leur siège.

LA MISE EN CONTACT : « l’excitation »
C’est-à-dire laisser monter l’excitation nécessaire, afin de s’orienter vers l’environnement.
Comme une rotation de l’organisme, on se décentre d’ici (mes sensations) pour aller là-bas (vers l’entourage). 
Et c’est à ce moment que l’émotion apparaît, dans la confrontation avec l’extérieur.

LE PLEIN CONTACT : « l’accomplissement »
C’est faire place à l’objet choisi, qu’il vienne en figure, et lâcher prise.
Pour s’immerger totalement dans un moment de rencontre avec lui, un contact nourrissant. 
C’est le moment du « nous », et pas forcément un moment idyllique.
Le contact final en fait, qui ne signifie pas la fin du cycle mais son objectif.

LE POST-CONTACT : « l’assimilation »
C’est le moment de retrait pour assimiler la nouveauté. 
L’organisme prend le temps de digérer l’expérience vécue pour l’intégrer à son histoire. Quelque chose se boucle dans la séance mais démarre dans la vie.

À présent, abordons le deuxième pilier : « la perspective de champ »

La perspective de champ c’est prendre en compte la totalité des phénomènes en jeu dans une situation. Notons cinq principes (fig.4, en bas de page):  

1er principe : organisation
La signification 
d’un simple fait dépend de sa position dans le champ.
Me tenir debout et faire cette présentation, devant vous, n’est pas comme me tenir debout et faire cette présentation, devant ma glace.

2ème principe : contemporanéité
Le passé et le futur se concentrent dans le présent. 

Là, par ex, j’essaie d’être particulièrement avec vous, parce qu’à notre dernière séance de pairs les filles m’ont dit que ce passage était celui où on pouvait le plus décrocher, or j’aimerais bien qu’à la fin de cette présentation, il vous reste un petit quelque chose de la perspective de champ.

3ème principe : singularité
Chaque situation est unique, innovante. 

Là, par ex, c’est la 7ème présentation d’un bouquin depuis le début de la formation, et comme chaque fois il y a un livre, nous tous, le board, les 20 minutes, et pourtant comme chaque fois, tout est différent.

4ème principe : processus changeant
L’expérience est provisoire, la vérité d’un moment n’est pas celle du suivant. J’ai bu une gorgée avant de commencer, parce que j’avais la gorge sèche à cause du trac, et là je viens de reboire une gorgée, mais j’ai plus le trac, j’ai juste soif.

5ème principe : rapport pertinent
Chaque élément de la situation en cours contribue à son organisation. 
Même silencieux, même invisible.
Le fait par ex, que Valérie Andrianatrehina ici présente, soit gestalthérapeute, n’est pas exactement neutre, pour les filles et moi, quant à cette présentation.

Donc, la perspective de champ nous oblige à prendre en compte notre présence et notre implication dans la construction de la relation.
Nous avons une influence sur l’autre et « nous sommes crées par les situations autant que nous les créons ».

Pour finir, nous aimerions aborder la troisième et avant-dernière partie du livre, consacrée à la « posture » du Gestalt-thérapeute.

Quatre idées fortes se dégagent quant à l’ouverture de cette posture (fig.5, en bas de page):   

« ETRE LA »,
car il s’agit bien d’être et pas de faire.

Et ce positionnement incite le thérapeute à découvrir, inventer et développer sa propre manière d’être. 
Acquérir une forme de confiance en soi qui donne l’assurance qu’il suffit d’être là pour permettre une nouvelle expérience. 
Alors sobrement et humblement bien sur, artisanalement, j’ai envie de dire. Avec 4 repères :
-la présence : « je suis là, je reste là, avec vous, quoiqu’il arrive ».
-la conscience, immédiate et sensible, animale, instinctive, où tous nos sens collaborent, et notre conscience plus réflexive, autorégulatrice disons.
-l’ouverture, ratisser, récolter/se garder de toute hâte, prendre son temps/et balayer large, c’est complexe.
-le pas à pas, sentir, puis ressentir, puis identifier, puis exprimer.

« ETRE UN CORPS PLUTOT QU’AVOIR UN CORPS », 
nous sommes corps et nous contactons pas le corps.

Se poser, pour bien sentir ce qui se passe au niveau corporel.
S’éveiller, s’exercer à sentir, ressentir et nommer « son éprouvé ».
S’incorporer, il n’y a pas de scission. 
S’émouvoir, l’accès à nos émotions est corporel. 
Se mouvoir, le corps est mouvement.

« LE SOUTIEN EST UN ANTIDOTE À LA HONTE »

– Accueillir cf Rogers
– Soutenir to support > Capacité du thérapeute à rejoindre le patient là où il est, à cet instant là, pour entrer en résonance avec lui, sans vouloir le tirer vers le haut ou vers l’avant. Et lui donner la sécurité suffisante pour faire un pas de plus vers nouveauté.
– Contenir : entourer, envelopper pour ne pas lâcher ou abandonner. 
– Tenir : Il ne s’agit plus seulement d’être-là, mais de rester-là.

« CO-CONSTRUIRE », 
trois thèmes chers à la Gestalt-T ont retenu notre attention :

– Créativité: réveiller le potentiel créateur, la possibilité de chacun de s’adapter à une situation nouvelle plutôt que de s’enferrer dans des comportements obsolètes, inadaptés à la nouveauté des évènements.

– Construction de sens : voir le parcours thérapeutique comme une entreprise de co-écriture dont les co-auteurs seront d’autant plus fertiles et leurs créations d’autant plus riche, que leur relation favorisera cette créativité. On cherche ensemble, il n’y a pas de réponse toute faite.

– Dévoilement : Le dévoilement du thérapeute. Pas de la personne du thérapeute, mais du dévoilement par le thérapeute de ce qui émane de la situation commune. C’est l’outil majeur de la co-construction. Tant la « donation de l’éprouvé » dans l’ici et maintenant peut-être un véritable cadeau. Mais à manier avec prudence, et à ranger dans la catégorie outils qui impliquent thérapie personnelle et supervision, of course.

Ce qui nous a beaucoup interpellé dans cette posture du G-t, c’est cette idée d’abandonner sa position d’expert, de laisser son savoir au second plan, pour s’impliquer dans la situation, en tant que personne. 

Il ne s’agit pas d’envahir le patient en racontant sa life, mais seulement de dévoiler une part de son expérience dans l’instant pour permettre au patient un pas de plus dans le déroulement du processus.

Pour conclure, Valérie Andrianatrehina dit que la Gestalt-thérapie s’apparente « à une épiphanie de la rencontre : des « moments d’intense révélation » surgissant « de façon souvent imprévue » et menant à une découverte, une compréhension qui, dans l’instant, réduit la distance de soi à soi, nous faisant un peu moins étrangers à nous-mêmes ».

Du coup, j’aimerais revenir sur la dimension énigmatique du mot gestalt, évoquée en introduction, car au fond, elle nous renvoie à une énigme fondamentale qui est qu’on ne devient pas soi par soi, mais par l’autre. 

Et que donc, comment, en ce qui nous concerne tous ici, le coaching peut être ce lieu de co-construction d’une expérience qui rend autre.
Et qui permet à notre coaché d’éprouver une autre façon d’être, à partir de ses ressources.

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R.

Regard Crétois

Nikos Kazantzakis – Lettre au Greco, extraits

Fresque du Jeu du Taureau, Musée Archéologique d’Héraklion

Je regardais les courses de taureaux peintes sur les murs, la grâce et la souplesse de la femme, la force infaillible de l’homme, et de quel œil intrépide ils affrontaient le taureau déchaîné et jouaient avec lui.  Ils ne le tuaient pas par amour comme cela se faisait dans les religions orientales, pour se mêler à lui, ni parce que la terreur s’emparait d’eux et qu’ils ne supportaient plus de le voir ; ils jouaient avec lui avec respect, avec entêtement, sans haine. Peut-être même avec reconnaissance : parce que cette lutte sacrée avec le taureau aiguisait les forces du Crétois, cultivait la souplesse et la grâce de son corps, la précision ardente et lucide de ses gestes, l’obéissance de sa volonté et la vaillance, si difficile à acquérir, qu’il faut pour affronter sans être envahi par l’épouvante la puissance effrayante de la bête. C’est ainsi que les Crétois ont transposé l’épouvante et en ont fait un jeu sublime, où la vertu de l’homme au contact direct de la toute-puissance absurde, se tendait et triomphait. Elle triomphait sans anéantir le taureau parce qu’elle ne le considérait pas comme un ennemi mais comme un collaborateur, sans lui le corps ne serait pas devenu si souple, si puissant, ni l’âme si vaillante. 
Il faut sûrement, pour avoir la force de soutenir la vue de la bête et de jouer un jeu si dangereux, un grand entraînement physique et spirituel ; mais une fois que l’on a acquis cet entraînement et que l’on est entré dans le climat du jeu, chacun de vos gestes devient simple, ferme, détendu, et votre œil contemple sans épouvante l’épouvante. 

L’Acrobate, Musée Archéologique d’Héraklion
C.

CHRONIQUE DE JURÉE, d’une Certification de Coach Professionnel.

Black door with red, Georgia O’Keeffe – 1954

« Tableau Excel & Flou artistique »

Tout commence par un coup de fil. 

Celui d’une de mes anciennes professeures de L’Académie du Coaching. 

Surprise et ravie de recevoir son appel, nous échangeons quelques nouvelles avant d’en venir à « la » question : 

 – Tu serais partante pour être dans le jury de la promo 33… Sur l’épreuve « étude de cas » ?

L’enfant intérieur en moi, qui est globalement un grand oui partant pour tout, s’enthousiasme en quatre secondes. La protection me rappelle à mon agenda et à ma disponibilité. L’ancienne élève, se sent nimbée de reconnaissance, façon glitter scintillant. Et légitimité j’écris ton nom, se met à paniquer sur ma capacité à pouvoir le faire.  
Bien sûr, tata surmoi, déboule blasée : « ils ont dû se faire planter par quelqu’un en lastminute.com, t’emballe pas. »
Et enfin, mon petit gremlins materialiste me rappelle que c’est gratuit. 

– Écoute j’adorerais, mais je dois juste vérifier quelque chose quant à ma disponibilité. Tu me laisse 24h pour revenir vers toi ? 

Elle acquiesce et je raccroche. Temps. 

Le sentiment qui domine c’est : l’envie. De le faire, de participer, de prendre part, d’apprendre, de réviser, de préparer, d’écouter, de voir, d’analyser… D’en être quoi ! Et ayant toujours eu le goût de la transmission, toute expérience qui s’en rapproche de près ou de loin, me semble une bonne idée. 

Le lendemain, après validation emploi du temps-disponibilité et nuit de réflexion (incontournable pour les grands enthousiastes comme moi, qui ont tendance à la surchauffe), je confirme ma participation. 

Dans la foulée, je reçois plusieurs documents de sa part, afin de m’actualiser sur le processus de certification « aujourd’hui ». 

Première réaction face aux multiples petits carré « X blanc sur fond vert » en bas de mail : angoisse-aversion. 

Je fais partie des gens qui fonctionnent en arborescence et qui se mettent à transpirer à la simple vue d’un tableau excel. 

L’éparpillement – meilleur ennemi du tableau excel – se nichant dans l’ombre de ladite arborescence.

Je prends sur moi et j’ouvre chaque document. Alors que je tente péniblement de déchiffrer le contenu de chacun des encarts, tata surmoi  et légitimité j’écris ton nom, s’en donnent à cœur joie, faisant perler la sueur sur mon front. 

Je ne comprends rien – STRICTEMENT RIEN

Rejet, découragement, panique. Je ferme et rouvre plusieurs fois chaque document en soufflant à voix haute : « Non. Non non non, je ne fais pas ça. Non. Non non, c’est non ». Le tango de la résistance dure un moment. Puis… je me calme, je rationnalise, et canalisée, j’affronte. 

Je me pose sur chacun des encarts, avec de ce genre de phrase à l’intérieur :

Présenter le déroulement de la présentation de façon orale et visuelle afin d’apporter structure et cadre au coaché et ainsi créer une ambiance favorable à l’échange en séance.

Prend en compte son auditoire et adapte son intervention aux rythmes et au processus d’apprentissage.

« Adapte son intervention aux rythmes et au processus d’apprentissage ». 
Mais attends, de quel apprentissage on parle là ?!! Il sera en face de nous, nous, les jurés !! « Présenter le déroulement de la présentation ». Rhaa ces répétitions de mots que c’est irritant, que ça rend la lecture confusionnante. « De façon orale et visuelle ». Bah oui, oui, de façon orale, c’est pas un time’s up. Le candidat ne va pas nous mimer son concept.

Je m’agace toute seule. 

Je relis chaque tronçon plusieurs fois. Afin d’en dégager le sens concret. L’aptitude réelle attendue. De traduire, en fait. Avec ce que je sais de l’expérience et de la pratique du coaching. Car il va être question d’évaluer, de mettre une note, de poser un commentaire. 

La compétence est-elle insuffisante (de 1 à 4), conforme (de 5 à 7), maitrisée (de 8 à 10) ou zéro (monologue-retranscription scolaire) ?

Rien que de le voir le zéro sur le tableau excel, je me sens mal à l’aise. 

En fait, il me faut un long temps pour faire le lien entre tout ce contenu et le processus à venir. Et la perspective d’évaluer l’ensemble me tend. Je me sens très à l’étroit dans ses cases, aussi bien du point de vue du candidat que de celui du juré. Quelque chose manque. Fondamentalement. Et le premier mot qui me vient c’est : le vivant. 

L’organique.

Mais tout de suite, aussi, j’entends la formule moqueuse qui commente, « oui, oui, le flou artistique, quoi. » 

(Je n’insiste pas sur la petite musique péjorative et ses différents couplets, cf. arborescence-éparpillement-vivant-organique-flou artistique, tout le monde me semble-t-il, en connait le refrain). 

Alors. Bien sûr, que c’est très – très délicat, cette affaire du coaching.  Et qu’on a vite fait d’être dans l’approximatif, le grand pipeau-charlatanesque option guru. Tout cela sur fond de développement personnel, avec son lot de positivismes lissants et autres formatages, aussi ridicules que bêtes que dangereux. 

Et le but de la certification, c’est bien d’assurer, de garantir, que la personne qui la présentera en devanture d’elle-même sur le marché du travail, sera consistante dans son approche, solide, articulée. Qu’elle aura traversé un véritable itinéraire d’apprentissage. En quatre mots : tout sauf une arnaque.

Et au fond, derrière ce vouloir rendre tout scientifique (et quel meilleur indice de cette volonté, que ces grilles de notation excel qui décomposent en neuf lignes de pré-requis, la partie A3C2 et A2C15, que le jury doit vérifier et noter chacune, pour chaque candidat), il y a une exigence, un souci réel, de démontrer le sérieux et le professionnel d’une approche. 

D’ailleurs nous l’expérimentons tous, rien qu’avec nos lectures ; qu’il est bon de tomber sur un ouvrage expert, parce que fouillé, approfondi, maitrisé, qui nourrit véritablement la pratique, en donnant à penser, à réfléchir, à questionner, à élargir le champ de sa conscience et donc de sa pratique. Et surtout, sur lequel on peut s’appuyer en toute confiance, sachant qu’il est le fruit d’une expertise réelle. 

Mais, aussi, il faut bien reconnaitre que ces protocoles de notation, pour reprendre un mot d’Irvin Yalom dans son livre l’Art de le thérapie, finissent par ressembler « aux menus des restaurants chinois ». 

Quand on les pense, tableau excel et flou artistique, voici deux groupes nominaux à fort potentiel péjoratif qui portent en eux, toute la problématique des métiers d’accompagnement. Du moins, deux de ses extrémités.

Pour préparer l’épreuve je reprends toutes mes fiches concepts (petite crise de sois-parfait, en effet, mais, qui permet à tempérance de se pointer, afin de dépressuriser un peu l’animal : c’est une épreuve parmi quatre autres, calme-toi, vous serez six regards, vous allez travailler main dans la main). 

Toujours est-il, que je les revisite tous, puisque c’est l’objet même de l’épreuve que je vais accompagner, « l’études de cas ». 

À savoir : tirer un petit papier avec un numéro, qui renvoie à un cas, que le candidat va lire. Et à partir de cette petite dizaine de lignes explicatives d’une situation, il va devoir poser un diagnostic, présenter comment il compte opérer, et surtout, quels outils théoriques il envisage de mobiliser

Bien sur chaque cas porte en lui une attente, un concept central que l’on souhaite voir déployé par le candidat. 

L’épreuve dure 35 minutes : 20 minutes de préparation et 15 minutes de passage. 

En faisant ma petite révision, je palpe instantanément le bienfait de se replonger dans les contours définis de chaque concept. Combien c’est régénérant. Parce qu’on absorbe, on s’imbibe, mais tout finit par se diluer. Or, en y revenant, le muscle aussitôt se réactive. Ça dynamise et libère de l’énergie. Ça recadre, tout naturellement. 

Par exemple, au moment où je révise ma fiche sur l’IRC (Intelligence de la Relation en Coaching – combinatoire et stratégie d’alliance élaborée par François Souweine), je réalise que j’ai à peine effleuré la zone 7 (les autres et le problème du coaché) avec une de mes clientes du moment. Or notre dernière séance a fait un peu du sur-place. C’est un coaching centré sur la personne et nous avons bien évidemment été amené à parler de son environnement, et donc de ses zones 4 (le coaché et les autres) et 5 (les autres). Mais me saute aux yeux que je n’ai pas assez exploré la zone 7. Angle mort qui se dévoile et crée aussitôt une percée. Ça peut paraître simplissime, ainsi écrit, pourtant, un élément réactivé par la reprise de conscience de cette zone 7, s’est éclairé comme une clé. 

Remettre des mots simples et exacts sur ce que l’on fait, apporte une clarté et une précision à ce que l’on fait. C’est indiscutable. Un peu comme cette parole d’enfance, de ranger sa chambre pour ranger sa tête. Et en refaisant ce trajet basique, du retour au concept et de sa maitrise, je ressens instantanément la clarté rassurante du tableau excel. Sa bonne odeur de propre. 

En même temps, ce qui me rassure lors du zoom que nous faisons (avec les autres membres du jury pour préparer la certification), c’est que j’ai affaire à des professionnels aux profils très différents, mais je sens bien que nous partageons tous le même « écart » avec ces documents – chacun le manifeste directement ou indirectement, à sa façon. 

La vitalité joyeuse de la directrice de promo qui remet aussi, la nécessité de prendre du plaisir en jeu, apporte un vent frais absolument nécessaire pour oxygéner le parcours à venir, mais aussi ce léger « flottement ». 

JOUR 1. C’est parti ! 

Mélange de trac et d’excitation. Une envie folle d’y aller. Une peur de mal faire. Et l’envie de tout saisir. On n’est pas sorti de l’auberge. Car oui, il y a cette envie de ne passer à côté de rien, pour tenter d’être le plus objective possible, tout en sachant pertinemment que c’est impossible. Mais là encore, tempérance vient apporter de la souplesse ; nous sommes deux jurés pour cette épreuve. Ma partenaire : grande douceur et bienveillance, regard clair et sensibilité, une détente accueillante et colorée.

Le courant passe instantanément entre nous. Bénédiction. 

Les premiers candidats se présentent. 

Tout de suite, l’incapacité à poser chacune des notations dans les dix minutes imparties entre leurs passages. Tant de contenu à processer, beaucoup trop court pour moi cette petite dizaine. 

Or donc, stratégie : être hyper présente à l’épreuve, à la communication inter-et-intracorporelle, mémoriser un maximum en soi l’expérience, puis à chaud prendre toutes les notes, repères nécessaires – les détails les plus saillants de contenu et de processus. Poser tout de même, les évidences de notations s’il y en a, et les notations plus impressionnistes, qui mériteront une repasse de réflexion.

Intense.

Intense, parce que volonté farouche de faire cohabiter les exigences du tableau excel, avec la plénitude de l’expérience organique, sa richesse et sa complexité. Et bien sûr, sa temporalité personnelle avec celle de la certification. 

Tout à coup une « étoile » entre dans la pièce. Me revient instantanément ce que briller veut dire. Humblement, sans tapage. Tout est là, en place, simple, précis, pas lisse, investi d’une présence et d’une singularité authentiques. Elle plie l’affaire et remet au passage les compteurs à zéro.  Réévaluation.

Là, où j’avais du mal à trancher, elle remet à jour une évidence qui permet d’éclairer le regard. Car le souci c’est qu’on ne veut ni, être trop dur, trop sévère, ni, trop mou, trop arrangeant. 

Échange avec ma partenaire de jury : nous sommes exactement au même endroit. Confort de l’évidence. Nous poursuivons. 

Commence un itinéraire qui me rappelle à mon expérience d’assistanat en casting, lorsqu’il s’est agi de construire le pool d’acteurs qui joueraient les personnages principaux d’une nouvelle série télévisée. 

Il y a véritablement un territoire commun à l’acteur est au coach, d’autant plus flagrant sur cette épreuve de l’étude de cas : connaitre son texte sur le bout des doigts (les 20 concepts de coaching) et en maitriser le sens afin de les incarner de façon authentique (en justesse, en clarté, en pertinence et en résonance avec son interlocuteur).  Si on ne connaît pas son texte, on ne peut pas jouer. Si on ne connait pas ses concepts on ne peut pas coacher. Et dans les deux cas, le temps de la scène comme le temps de la séance, sont des plongées dans la posture méta, qui prend appui, précisément, sur cette maitrise. 

Alors bien sûr, j’en ai parlé juste au-dessus, il y a les évidences : quelqu’un qui entre dans la pièce et qui est pleinement prêt, en maturité et en place. 

Mais il y a aussi, des personnalités immédiatement intéressantes, singulières, dont les dons sont évidents – la sensibilité, l’écoute, l’empathie – mais qui n’ont pas assez travaillé, ne sachant pas bien leurs concepts, limitant par cela même leur rayonnement et leur posture. 

Ou au contraire, celles qui bricolent sans la moindre gêne et que l’approximation théorique n’embarrasse pas, n’empêche pas, et qui déploient diagnostic et stratégie dans le mille malgré tout – et donc ça passe, parce qu’il y a une solidité de posture. 

Ou celles qui vous laisse avec un léger voile d’enfume dans la pièce, comme un inconfort qui fait douter.

Ou celles au contraire qui savent tout parfaitement, mais que le contexte de l’épreuve ébranle tant, qu’elles finissent par paniquer, perdre le fil, tout oublier, révélant une posture encore trop fragile.

Et puis aussi, parfois, une proposition toute petite entre dans la pièce, tout petite mais authentique et bien calée, et vous vous rappelez qu’il faut de tout. Et que cette certification est un début de parcours pour chacun et pas une fin. 

Que seule la pratique peut révéler, autant que façonner l’amplitude du geste, sa puissance – comme tout métier d’art. 

D’autant que s’ajoute à cela, le facteur chance, quel cas on tire, quel concept, les incidents, un téléphone qui sonne, quelqu’un qui se trompe de porte… Tous les impromptus qui surgissent, perturbent et viennent « chercher » le candidat dans sa  posture (et le jury aussi d’ailleurs).  

C’est passionnant et complexe.

À la fin de journée, nous repassons au peigne fin avec ma partenaire, toutes nos notes, nos impressions, nos questionnements et nos doutes, sur chacun des candidats et nous échangeons, discutons, comparons, nous interrogeons pendant plus d’une heure. C’est très engageant et stimulant à la fois. 

Le soir venu, une fois rentrée chez moi, je ressens le besoin de tout retraverser. De passer, repasser, et de profiter de la petite distance pour mettre toutes mes notes en perspective. Préciser mon regard, mon senti, mon analyse – les clarifier. Et tenter ainsi, d’arriver aussi sereinement que possible, à une note au plus juste de ce qu’il m’est possible.


JOUR 2. Spécificité du jour : la saturation totale en fin de journée. 

Tout qui danse dans sa tête. La multitude de détails qui submerge et la vision d’ensemble qui se voile. Encore une fois, on ne veut rien perdre, rien oublier de tout ce qui a été traversé. Garder tout en présence pour chaque note que l’on pose sur le papier. On relit encore et encore, le contenu des encarts du tableau excel. On vérifie, re-vérifie. Mais la densité charge la mule et le regard se noie un peu. Car à force de regarder au télé-objectif, on se perd. 

Et c’est donc là, précisément dans ce trop-plein, que la nécessité de se décoller du plan excel se fait sentir. De s’en détacher un peu. De se remettre au centre d’un plan plus large, plus vaste et plus essentiel à la fois : le « flou artistique ». 

Nous y voilà. Le fameux. 

Peut-être est-ce intéressant de rappeler qu’au départ, avant de prendre tournure péjorative, le flou artistique est une technique. Un effet de flou désiré et maitrisé. Qui nous permet d’accéder à un certain niveau d’invisible. 

En photographie, par exemple, on va mieux saisir le mouvement d’un corps. Son intention. Sans le flou, le mouvement ne libère pas forcément sa vibration. Ou, si l’on prend une fleur, sa délicatesse ne s’isolera pas autant, sans le flou du reste en arrière-plan. Ou encore, la magie des lumières de la ville la nuit. C’est grâce au flou artistique, quand chaque source de lumière est cristallisée en un petit rond de couleur, ambre, rouge, vert, turquoise, et que tous ces halos dansent ensemble sur la toile sombre de la nuit, que nous parvient le charme mystérieux d’une ambiance nocturne. Tout ce à quoi elle nous prédispose. 

Un flair de lumière ici, la transparence d’un pétale là, la beauté d’un motif qui se répète…  Si vous observez, ces photographies qui font l’usage du flou artistique et que vous aimez – qui vous touchent – toujours, quelque chose se dévoile, à la frontière-contact du visible et de l’invisible. Et c’est pour celui qui regarde, comme une ouverture, une onde plus ténue à laquelle accéder. Une connexion à un niveau supérieur de conscience. 

Or on parle bien de la subtilité de l’écoute flottante en coaching, afin de ne pas se noyer dans le torrent de détails du contenu et de ne pas perdre de vue le processus et le sens. 

Et bien dans ce flou artistique, c’est précisément de cela qu’il s’agit : accéder à l’invisibilité du processus et du sens. 

JOUR 3. Dernier jour.

Quelques candidats passent le matin et on les sent plus détendus, c’est leur dernière épreuve. 

Et après la pause déjeuner, c’est le temps pour le jury de se poser et de délibérer ensemble. 

Je ressens à ce moment-là, que tout l’enjeu est bel et bien d’avoir harmonisé tableau excel et flou artistique, de façon à poser un regard le plus impeccable possible sur chaque candidat. Mais donc aussi le plus ouvert. Le moins définitif. Et le plus au présent. Car la certification est un moment clé, certes, mais qu’un moment. Ce que chacun sera, ne serait-ce que dans un an, nul ne sait.

Nous y passons toute l’après-midi.

Ce qui est frappant, c’est de constater l’homogénéité des retours, à part pour quelques cas qui se sont « plantés » sur une épreuve ou une autre. Nos retours résonnent. S’échoïsent. Et c’est très rassurant. 

Bien sûr, il faut être vigilant à ne pas s’harmoniser facticement, de façon à préserver la réalité de l’expérience vécue à son poste. Ne pas adhérer par confort ou sécurité, ne pas résister par rigidité. 

Ces heures de délibération se terminent sur un moment quasi paroxystique pour ma part, où je suis tellement à fond, partie d’un tout, en équipe, que oui, mais oui, ce serait vraiment passionnant de créer un groupe d’étude et réfléchir ensemble à comment peaufiner, améliorer, réfléchir ces protocoles de certification, les différentes épreuves, les intitulés, les cadres, accompagner les jurés des prochaines certif’, oui, oui, on pourrait par exemple…

Et puis d’un coup, c’est fini. C’est passé. Ça a eu lieu. On est assis dans le métro et on rentre chacun chez soi. 

Et c’est l’immense relâchement, la redescente énergétique. On lâche tout, complètement. On a fait sa part, du mieux qu’on a pu. Son maximum à soi. 

Et on est vidé autant que plein. 

Ce qui me reste aujourd’hui, trois mois après ces quelques jours de certification, c’est combien le coaching est un métier d’art. 

Or donc, qu’il est absolument incontournable d’en maitriser la base théorique – ses 20 concepts fondamentaux – sur le bout de ses doigts, et d’y revenir régulièrement se remettre au précis. Mais qu’aussi, ce qu’un tableau excel ne pourra jamais cultiver, c’est cette multitude de vibrations, de palpitations de pulsations immédiatement perçues par le corps. Avec tout ce qu’elles charrient d’intentions, de motivations et d’émotions. 

Cette consistance de l’autre (et de soi) que seule la prise de risque de l’engagement physique permet de ressentir. 

Cette écoute fine. Ces tressaillements*. 

Et qu’en somme, un peu à la façon de la médecine intégrative, qui cherche à faire s’allier ensemble, les médecines conventionnelles et non-conventionnelles. Il me semble que l’extrême définition du tableau excel et l’hypersensibilité du flou artistique sont les deux extrémités du même long bâton souple et courbé, sur lequel nous pouvons prendre appui, à la façon des funambules sur leur fil, pour garder l’équilibre.

*L’Aventure du corps de Fabienne Martin-Juchat aux Presses Universitaires de Grenoble.