« Mais… c’est quoi, ce que tu fais, exactement ?!… »

La « Valentine » par Ettore Sottsass, pour Olivetti . ©aurelievalat.

On me pose régulièrement cette question lorsque je dis que je travaille à partir du processus créatif, en me servant de l’écriture

« Mais… Ça veut dire quoi… processus créatif… ça consiste en quoi ? » « Concrètement – ça se passe comment ? » « Et les gens qui viennent te voir c’est pour quoi ? » « Et donc tu écris avec eux ?! »  « Mais l’authenticité en fait, c’est le fait de…euh… c’est le fait de… de… euh.. de quoi, en fait ? »  « Oui, donc c’est comme de l’art-thérapie ton truc, non ? » 

Il me semble que la meilleur façon de répondre à toutes ces questions, c’est de tenter de poser un genre d’adn – le plus spécifique et pratique possible – des accompagnements que je propose, et, de partager les témoignages des personnes que j’ai accompagné.

Si je commence par cette idée d’adn, je dirais que mes accompagnements se déclinent à partir de cinq points de repères essentiels : l’occasionle canevasle lieu à soi l’oblique et le fondement. 

Et voici quelques lignes pour les illustrer chacun  : 

L’OCCASION.
C’est précisément cette sensation d’impasse ou de cul-de-sac. Quelque chose bloque, quelque chose peine, quelque chose résiste, quelque chose empêche…. Or donc une charnière est en présence, toute prête à nous faire passer un cap. 
La faille, le frein, le problème… Voilà exactement notre opportunité et notre point de départ. 

LE CANEVAS.
C’est notre toile, notre cadre, sur et dans lequel nous allons progresser. Il prend appui sur le processus créatif et ses différentes étapes.
– la préparation : notre temps d’investigation 
– l’incubation (intimation) : on couve, on infuse
– l’illumination : « je me saisis de quelque chose »
– la vérification (formulation) : on met à l’épreuve et on articule en vue d’incarner, de transmettre, de résonner, d’impacter. 
Et oui, le coaching se déroule sous forme d’entretiens, mais oui, j’utilise beaucoup l’écriture. Mettre l’autre en écriture, autant du point de vue du processus que du contenu. 
Et bien sur, ce processus n’est pas linéaire, il est itératif et circulaire.

LE LIEU À SOI.
C’est un concept simple, inspiré du texte de Virginia Woolf : prendre le temps de poser l’espace du coaching comme « un lieu à soi » qui pourrait ressembler autant au bureau de l’auteur, qu’à la salle de répétition de l’acteur, qu’à l’atelier de l’artiste-artisan.
C’est son lieu de recherche et d’élaboration.
En s’appuyant autant sur notre intelligence corporelle, que nos capacités intellectuelles, que notre savoir-faire. 

L’OBLIQUE.
C’est une façon d’approcher le problème de biais, à sa périphérie.
Disons presque qu’on le contourne, qu’on le piège – sans plus trop se questionner sur le pourquoi ni ses supposées origines.
On le met à l’extérieur de soi et on prend appui sur lui.
On se sert par exemple, d’une présentation à faire ou d’une transition à opérer, d’une difficulté relationnelle ou d’un projet à élaborer…
Pour traiter un enjeu plus profond comme sa posture, sa place, sa communication, sa vision…
Si je devais poser une image, je dirais que l’on va se concentrer sur le moteur – ou tout autre partie du véhicule – pour en venir à modifier sa conduite.

Et enfin, LE FONDEMENT.
Il s’agit fondamentalement de reprendre la main sur son récit, sa narration. Retrouver son aptitude d’auteur-interprète et sa créativité.
Son espace de jeu, entre espace normé, contraint et espace plus vivant, plus libre.
Et la joie qui accompagne cette réappropriation : entre émancipation et autonomie. Avec ce sentiment de puissance et de créativité déployée. 

J’ai pris l’habitude de demander à mes coachés de m’écrire un témoignage à l’issue de notre collaboration.
Comme une trace, une inscription, autant pour eux, que pour moi.
Vous en trouverez certains sur mon site. Il me semble quils éclairent vraiment le process et donne à mieux comprendre de quoi il s’agit.  

Aujourd’hui, j’ai souhaité en mettre un particulièrement en lumière, car il illustre bien une dimension des accompagnements que je propose, entre coaching et écriture.

Gwénaëlle, architecte, est venue me voir avec le désir d’écrire un texte décrivant tout l’itinéraire d’un projet d’architecture particulièrement emblématique de son agence.
L’objectif était de pouvoir éditer un bel objet-livre représentant son travail dans toutes ses dimensions.
Un outil de communication en somme. 

Ce qui a été puissant et passionnant, c’est qu’en se focalisant sur un projet spécifique de son agence, avec cet objectif de livre à élaborer, elle en est venue à cheminer et à se développer sur sa posture-même de professionnelle, son approche d’architecture et sa communication à plusieurs niveaux.  

Je la remercie infiniment de sa confiance et d’avoir accepté de partager ainsi son généreux témoignage.
Car pour ma part, outre le grand bonheur que ça a été de collaborer avec elle, sa demande s’est située très précisément au cœur de mon dispositif d’accompagnement.

TÉMOIGNAGE de Gwénaëlle Morice -Studio la Boétie Architecte :

« Mon projet : concevoir un outil de communication pour présenter la singularité de mon activité d’architecte afin de cibler des maîtres d’ouvrage en parfaite adéquation avec mes méthodes de travail, mon terrain d’expertise et ma sensibilité.
Mon objectif était clair, la mise en forme l’était moins.
Mes idées s’accumulaient et s’entrechoquaient les unes aux autres et je ne parvenais pas à les assembler dans le bon ordre pour écrire.
J’ai contacté Aurélie Valat pour m’accompagner dans cette réalisation et m’aider à structurer le contenu et rédiger le propos afin d’aboutir à un outil au plus proche de mon objectif.

Je m’attendais à délivrer mon chaos interne en bloc et de façon instinctive à Aurélie afin qu’elle puisse en extraire l’essentiel et le mettre en forme.
D’une certaine façon je souhaitais me décharger de ce que je ressentais comme un fardeau trop lourd à porter seule, je souhaitais que quelqu’un organise ma pensée à ma place.
Je pris conscience bien plus tard que je demandais à Aurélie de recueillir le raisin fraichement cueilli par mes soins et d’en faire seule un grand cru. J’oubliais à ce moment-là qu’un grand cru naît du travail du temps, de la qualité et de la singularité de la terre et de l’engagement des hommes qui par leur travail, leur méticulosité, permettent ensemble que s’opère la vinification dans les règles de l’art.
Il s’agit là du respect d’un processus, d’un engagement de l’homme pour aboutir à une réalisation. 

J’ai 40 ans et dirige une entreprise d’architecture depuis plus de dix ans.

Ma terre est riche certes, mon raisin est de qualité mais sans Aurélie, sans sa perspicacité, sans sa détermination, sans son obstination à me faire dire les mots justes, articulés avec précisions il n’y aurait pas eu de grand cru.
J’ai perçu au terme de ce voyage, qu’il fallait m’engager et assumer la richesse sourde que je possédais et qui n’était en rien un fardeau.
J’ai compris au terme de nos échanges que ce sur quoi je butais, mon esprit foisonnant incapable d’organiser ses pensées, n’avait besoin que d’une chose pour dissiper la confusion, un soupçon de préparation.
Je m’attendais à recevoir un texte, j’ai rencontré une possibilité que je n’osais imaginer, organiser ma pensée de façon simple. 

Le travail final d’écriture est abouti bien au-delà de mes attentes et révèle avec subtilité et simplicité la densité de mon travail et de ma pensée.

Au terme de ce voyage, je me sens renforcée et ancrée, déterminée à poursuivre l’exercice de ma profession avec justesse, engagement et légèreté. C’est une renaissance personnelle et professionnelle, la matérialisation de 20 années de travail qui se sont révélées au travers des échanges avec Aurélie Valat.
Merci infiniment pour ces moments précieux dont je conserve précieusement en mémoire le goût du nectar. »

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C.

Créativité

Musée Benaki, Athènes, Grèce – Mains de statuettes en marbre, 5ème-4ème siècles avant JC. (crédit photo : Aurélie Valat)

Ce qui nous saisit.


Don’t take it too seriously, hold on tightly, let go lightly.

Points de suspension, Peter Brook.

« C’est le moment de se réinventer !… Il faut des idées neuves !… Soyez cré-a-tifs !…».

Curieusement, au lieu de produire l’élan supposé, ces formules ont plutôt tendance à réveiller en nous résistances et autres freins.
 
Bien sûr, il y a le phénomène irritant de l’injonction – ce mode impératif et son effet de plaquage  – qui vient nous perturber dans notre façon d’être et de faire. 
Et qui peut nous laisser avec cette sensation très désagréable de ne pas faire ce qu’il faut, justement. De ne pas être ce qu’il faut. 

Mais mettons cela de côté – la contre-productivité de ce mode de l’injonction  – et concentrons-nous sur ce mot de CRÉATIVITÉ et sur ce qu’il implique.

Car en effet, que couve-t-il ce mot, pour qu’à son simple énoncé nous puissions ressentir – parfois, souvent – ce retrait complet d’énergie et d’initiative en nous ?

Commençons par regarder de plus près sa définition. 

Si vous cherchez dans un dictionnaire latin l’étymologie du mot créativité, vous tomberez sur creo, qui signifie : engendrer, procréer, faire naître, causer, produire. 

Et si vous allez du côté de l’Encyclopædia Universalis, vous trouverez ceci :

La créativité est définie comme la capacité à réaliser une production (une idée, un objet, une composition, etc.) à la fois nouvelle, originale (c’est-à-dire différente de ce qui existe) et adaptée au contexte et aux contraintes de l’environnement dans lequel la production s’exprime. 

Et ce qui est intéressant, c’est qu’ils ajoutent aussi :

La capacité à générer des idées créatives est reconnue comme une compétence du XXIe siècle, aidant à répondre aux défis de la vie personnelle et professionnelle, et favorisant le développement sociétal.

Maintenant, si vous relisez ces lignes et y cherchez le mot qui vous chiffonne vraiment… 

Est-ce défi ? Ou bien compétence ? Ou encore adaptée au contexte ?…

Ou serait-ce cette notion de nouveau, original, différent ?

Produire quelque chose de neuf, en un claquement de doigt. Encore et encore et encore… 

Un peu comme on demanderait à un comique, croisé par hasard, au détour d’une rue : « faites-moi rire ». (Bel exemple d’injonction, au passage).
Alors que l’homme, déjà épuisé de faire le comique depuis des années, sort peut-être d’un rendez-vous très alarmant avec son comptable, qui l’a plongé dans une remise en question totale quant à son avenir.
Et qui donc, en cette seconde où vous le rencontrez, vous, est tout simplement inapte à la production de la moindre blague. 
Votre demande risque même fort, de faire grimper d’un cran supplémentaire son angoisse.

Ce qui nous intéresse dans cet exemple un peu caricatural, c’est que l’injonction à produire instantanément une idée, un objet, une composition, aussi bon professionnel que nous puissions être, tombe rarement au bon moment.
Et nous fait souvent faire l’expérience vertigineuse : du grand vide en soi.

La créativité, tout comme l’inconscient n’est pas une boîte géolocalisée à l’intérieur de notre corps. C’est un processus. Or comme tout processus, avant qu’il ne s’enclenche, il y a une fixité.
Une sensation d’immobile, de rien, à l’origine de ce sentiment de grand vide en soi.

Reprenons l’exemple de notre comique en crise : à l’inverse, il est probable que dans une heure ou deux, ou le jour d’après… Il raconte cet épisode « comptable-angoisse-inconnu dans la rue » à un ami, et qu’il le fasse avec une drôlerie si savoureuse, qu’il décidera d’en faire un sketch…
Sketch qui fera très certainement un carton lors de son prochain spectacle… Et spectacle dont vous serez peut-être vous-même, spectateur. 

Ce qui est certain, c’est qu’en chemin quelque chose a eu lieu.
Un ajustement, un réglage. Un truc. Qui l’a fait passer d’une réalité à une autre. De, je suis un naze qui n’a plus rien dans le sac, à, calons une tournée de 300 dates dans toute la France.

Un passage, en somme.

En fait, nous venons de déposer là, trois notions fondamentales à la question de la « créativité » :
– LA NOUVEAUTÉ  (l’injonction de la nouveauté, « produire quelque chose de neuf »)
– LE VIDE (l’expérience de ce vertige-là, « du vide en soi ») 
– LE PASSAGE (d’une réalité à une autre). 

Je vous propose donc de les traverser chacune. Et de voir ce que nous pouvons y trouver comme clés, comme ancrages. 

La nouveauté.

La difficulté, avec cette idée de nouveauté, c’est qu’elle nous propulse instantanément dans une dimension de la créativité, que certains nomment la Big-C

La Big-C c’est quoi ?… C’est la créativité d’un Einstein, d’un Picasso, ou d’un Léonard de Vinci.  La créativité géniale, disons.

Tout de suite, il est très important de se rappeler que ces figures – ces véritables génies – sont plus que rares à l’échelle de l’histoire mondiale. 
Ils sont carrément des exceptions.

Nous tous, ici présents, ne sommes en aucun cas des génies. Et c’est « OK ».
Du grec Όλα Kαλά qui veut dire « tout est bien ». Tout est à sa place. 
Ce n’est ni un aveu d’échec, encore moins du défaitisme.
C’est du rangement : chacun boxe dans sa catégorie. 

Et il n’est pas attendu de nous, que nous fassions preuve de cette Big-C du génie.

Or –  pour de multiples et fascinantes raisons obscures – qui brassent problèmes de confiance en soi, légitimité, en passant par tous les dossiers de l’égo, et autres balles dans le « pied » – l’espace d’un instant, quand la demande de produire quelque chose de neuf et d’original nous est faite, nous nous mettons sur le même « pied » – le fameux – qu’un Leonard de Vinci.
Nous envisageons sérieusement, d’inventer la machine volante, le cubisme ou la physique quantique. 

Non. Trop. Too much. KO assuré. 

Rappelez-vous, nous ne sommes pas des génies. 
Nous n’allons pas sortir out of the blue, d’un chapeau ou de je ne sais où, une idée géniale qui va révolutionner le monde sur des milliers d’années.

Et personne ne nous demande ça. 

Donc tout de suite, première clé essentielle face à l’injonction d’être créatif « Don’t take it too seriously ».

Car, oui, d’une certaine façon, tout est créatif et création. Mais il s’agit là, d’autres dimensions de la créativité. 

– Celle dont tout un chacun fait preuve dans sa vie quotidienne, qui est aussi appelée la Little-c. 
– Que l’on distingue de la Mini-c, qui concerne les explorations d’une personne dans un contexte neuf ou d’apprentissage.
– Et de la Pro-c, propre aux trouvailles des personnes devenues expertes dans leur domaine professionnel. 

Créativité de la vie quotidienne, créativité des explorations-apprentissages, créativité des trouvailles d’expertises. Ça, oui, d’accord. C’est nous.

Et vous devez sentir, déjà, que quelque chose s’allège. 

Car doucement l’idée de nouveauté dans ce qu’elle peut avoir de spectaculaire et de jaillissant – de deus ex machina – commence à se diluer, à se dissoudre. 

Nous revenons à une dimension plus proportionnée et familière, plus calme, où il est bien plus question d’apparition
Mais d’apparition au sens photographique du terme ; c’est-à-dire comme une image qui, passant par des bains successifs, se révèlerait progressivement.
En fait, nous parlons de processus. 
De processus créatif.

Et c’est là, qu’il est question du deuxième pilier

Le vide.

Mettons-nous en situation. Vous venez de recevoir l’injonction de produire quelque chose de neuf, de trouver une idée, d’être créatif, et vous ressentez aussitôt ce malaise, ce vertige, ce petit ou grand vide en vous-mêmes…  Et c’est absolument normal, car :

« À l’origine de toute création, il y a un sentiment d’insatisfaction, d’inassouvissement, une sorte de trouble, un besoin de questionnement, une certaine angoisse, un refus, une sensibilité et une émotivité sismiques. »

A.K. Une école de la création théâtrale, Alain Knapp.

Alors à quoi pouvons-nous, nous raccrocher ? Au processus ! Parce qu’encore une fois la créativité n’est pas une boite pleine ou vide, c’est un mouvement, une approche, une disposition… Un cheminement.

Et voici donc, notre deuxième clé, quand le vide surgit : « hold on tightly » to the processus.

Et ce qui est merveilleux avec le processus créatif, c’est qu’il a fait l’objet de beaucoup d’études scientifiques. Nous avons des repères, des appuis.

Traditionnellement, il est décrit comme une succession de 4 phases (cf. Graham Wallace, pédagogue et professeur de sciences politiques entre autres, dans son livre « The art of Thought » publié en 1926). 
En fonction des approches, il y a de légères différences de terminologies eu égard à ces phases, qui peuvent même être réparties en 5 étapes plutôt que 4, mais au fond toutes convergent.
Donc à vous de voir comment vous approprier au mieux ce processus.

La première phase c’est LA PRÉPARATION.  
Elle consiste à rechercher des connaissances. On va investiguer. Appréhender de façon plus précise le sujet, récolter des informations, assimiler du connu, piocher dans sa culture générale.

Par exemple, pour écrire cet article, dès lors que j’ai posé « créativité – point d’interrogation », le tout en caractère gras au beau milieu de ma feuille blanche, j’ai évidemment ressenti ce vertige, ce vide en moi. 
Puis, comme si le regard s’acclimatait, j’ai commencé à me mettre en mouvement, à penser à des ouvrages, à des auteurs, à me rappeler de choses apprises, étudiées sur le sujet, à vérifier une définition dans le dictionnaire, un concept dans une thèse, et peu à peu, sont venues se déposer sur ma page blanche, tout un tas d’éléments. 
MA PRÉPARATION, donc. Qui est une activité très « consciente ».

La deuxième phase ou stade, du processus créatif est ce que l’on nomme L’INCUBATION
Nous sommes sortis du grand vide, mais nous portons à présent, un genre de problème.
Toutes les pistes, les explorations, qui convergent, divergent, nos ressources, se sont agglomérées tel un magma qui nous préoccupe et que nous trimbalons partout avec nous-mêmes.
Et que nous faisons dialoguer avec le monde extérieur, avec l’ensemble de ce que nous vivons.
On pourrait parler de couvaison (étymologie d’incuber). Nous couvons notre oeuf, qui prend forme à l’intérieur de nous.
Mais aussi d’infusion. Quelque chose infuse en soi, travaille en soi.
Nous laissons l’étape de PRÉPARATION oeuvrer en nous.
Et c’est fascinant parce que finalement c’est la phase la plus mystérieuse du processus. Celle sur laquelle on en sait le moins.
Cette petite chimie, alchimie personnelle, « non-consciente ».
Qui nous agit, plus que nous ne l’agissons.

La troisième étape est ce qu’on appelle L’ILLUMINATION.
Et bien sûr, c’est la phase la plus brève, celle où ça y est, nous nous saisissons enfin, de quelque chose :

C’est un éclair dans la pensée, où subitement la forme « ouverte » trouve sa fermeture et son accomplissement, où la tension se relâche dans un schème original, la solution, qui est, en même temps, dissolution du problème posé, avec ce caractère de certitude, de satisfaction de l’esprit, souvent trompeuse d’ailleurs, qui définit l’idée nouvelle. 

Cette phase, chez Graham Wallace, est précédée d’une autre, qu’il appelle intimation.
Et le passage de l’intimation à l’illumination chez lui, est comme le passage d’une conscience périphérique – je ne me suis pas encore complètement saisi de l’idée, j’en perçois les contours – à une conscience plus centrale ou focale – je la saisis en son coeur, je la tiens.
Donc l’intimation, est le premier pas hors de l’incubation, juste avant l’illumination.

Et enfin vient la quatrième étape, celle de LA VÉRIFICATION.
C’est le moment où nous allons mettre notre trouvaille, à l’épreuve de la demande initiale, .
Est-ce que ça marche vraiment, est-ce que ça tient, est-ce que ça embrasse pleinement le sujet ?…
C’est une phase où nous allons raisonner, contrôler, hiérarchiser, repasser tous les obstacles, agencer, ordonner, calculer, expérimenter…
En un mot : transpirer.

Et cette quatrième phase peut-être complétée d’une cinquième et dernière étape : celle de la formulation « universelle ».
Où il est question de maitriser son propre langage, d’articuler son idée pour et vers l’autre ; celui qui a émis l’injonction, le groupe auquel nous allons nous adresser, la société, le monde extérieur…
C’est une phase où, fonction de son domaine d’activité, nous pouvons aussi faire appel à des collaborations spécifiques pour porter et déployer au mieux notre idée.

En résumé, quand le vertige se présente, s’accrocher aux 4 étapes du processus créatif :

PRÉPARATION, INCUBATION, ILLUMINATION, VERIFICATION.
(Intimation et formulation, en milieu et fin du dit processus).

Le passage.

« La vie dans ce qu’elle a de meilleur, est un processus d’écoulement, de changement, où rien n’est fixe. »

Le développement de la personne, Carl R. Rogers

Tout bouge, tout le temps. Et c’est dans ce mouvement perpétuel, ce courant, que nous nous trouvons – que nous nageons – et devons sans cesse nous ajuster.

Et ce qui est passionnant quant à cette injonction d’être créatif, de produire quelque choses de « neuf », c’est de réaliser que la plupart du temps, ce qui oeuvre fondamentalement tout au long du processus que nous venons de décrire, c’est le fait de lâcher quelque chose, plus que d’inventer quoi que ce soit.

Le lâcher-prise, ou renoncement, signifie : abandonner toute idée qui se révèle illusoire et vide de substance. 

La respiration essentielle, notes (25), Thich Nhat Hanh

Quelque chose fonctionnait qui ne fonctionne plus, dû à une nouvelle configuration, un nouveau contexte, une nouvelle donne, ou tout simplement une nouvelle demande, auxquels il faut répondre, faire face.

La nouveauté finalement, est à l’extérieur de soi.

Un peu à la façon d’un joueur, qui voit à chaque partie, ses cartes rebattues, son jeu changer, et ajuste sa façon de jouer aux cartes qui lui ont été distribuées.

Car ce qui a marché lors de la partie précédente, peut ne plus marcher avec les nouvelles cartes qui lui ont été distribuées. La tactique n’est pas mauvaise en soi, elle n’est juste plus adaptée.

Cohabiter avec la complexité du changement perpétuel, c’est donc savoir se détacher. Accepter qu’une idée trouvée, n’est ni bonne ni mauvaise, elle est tout simplement pertinente avec le moment, mais peut ne pas l’être avec le suivant.

Ça marche, jusqu’à ce que ça ne marche plus.

Ce qui est intéressant, c’est que d’une certaine façon, plus notre monde est complexe, plus il vient solliciter en puissance cette ressource de la créativité en nous. 
D’où cette idée de, compétence du XXIe siècle, notre monde ne cessant de se complexifier.

Après il est important bien sûr, de pouvoir, de savoir, de sentir, quand il faut s’accrocher à une idée. La garder. S’y tenir.
Résister, d’une certaine façon.
Et dans l’assise théorique de la Gestalt-therapie (approche hautement créative), il y a une notion ( cf. Théorie du Self) qui est précisément celle de « l’ajustement créateur-ajustement conservateur ».

On pourrait résumer cette notion par le terme d’élan.
L’élan qui pousse l’organisme à s’adapter continuellement à la nouveauté. Avec l’ajustement conservateur qui est nécessaire à la survie, et l’ajustement créateur qui permet la croissance

Or donc, naviguer entre ses deux rives.
Passer d’une rive à l’autre.
Ce que je choisis de garder, ce que je choisis de lâcher, et que peut-être je retrouverai plus tard, plus loin, autrement.

La créativité, c’est cet élan-ajustement face au changement permanent.

Et si nous refaisons un lien avec son étymologie – « notre capacité à faire naître »- nous voyons bien qu’il est plus question de se laisser traverser.
Qu’il y a d’abord une réalité à accepter, à accueillir, à observer, à sentir.
Puis un processus à embrasser. Un mouvement à accompagner.
Presque danser avec lui.
Et que c’est précisément dans cette danse, que se niche la créativité.
Et qu’enfin, l’ensemble nous maintient en fluidité dans le courant.

Un objet synthétise parfaitement tout cela : les boules à neiges (ou snow globes). Vous savez ces globes transparents dans lesquels il y a un liquide et des paillettes qui retombent comme des flocons quand vous les secouez.

crédit photo : https://coolsnowglobes.com/collections/meditative/products/eclipse-snow-globe

C’est la main qui se saisit du globe et qui le secoue, qui va initier ce beau mouvement des paillettes dans le liquide.

Alors bien sûr, cette main peut le faire de façon douce, brutale, maladroite, joyeuse, agressive, curieuse, bienveillante, stressée…

La vérité, c’est que le globe n’a pas « la main » sur cette première prise. Il ne choisit pas qui, ni comment, il va être secoué.

Il est secoué, et c’est tout.

Un peu comme nous, en fait : c’est le changement (l’injonction), qui nous saisit et nous secoue. Et qui le fait comme cette main avec ce globe : en douceur, brutalement, violemment, énergiquement, joyeusement…

Et de la même façon que les flocons retombent toujours, le processus créatif aboutit toujours. Ça ne peut pas « râter ». 
Il n’y a qu’à accueillir cette première prise qui nous saisit, ses secousses.
Et embrasser le processus.

S’y fier.

Sachant que c’est précisément grâce à ce saisissement premier, que s’initie le mouvement et se déploie notre élan-ajustement singulier, or donc, notre créativité.
Sans ce saisissement, pas de déploiement.
Or toute la beauté est là.

La créativité en somme, c’est se laisser saisir. Et une fois saisi, se faire confiance.

Sources :
GAFFIOT, dictionnaire Latin-Français  
Abraham MOLES, « INVENTION », Encyclopædia Universalis
Maud BESANÇON, Todd LUBART, « PSYCHOLOGIE DE LA CRÉATIVITÉ », Encyclopædia Universalis

Eugene Sadler-Smith, « Wallas’ four-stage model of the creative process: More than meets the eye? »Surrey Business School, University of Surrey, UK
Peter Brook, Points de suspension
Alain Knapp, A.K. Une école de la création théâtrale

Chantal Masquelier-Savatier, Comprendre et pratiquer la Gestalt-thérapie
Thich Nhat Hanh, La respiration essentielle
Carl R. Rogers, Le développement de la personne
A.

Atelier de réparation

L’Atelier Contemporain – Fancis Ponge

©Aurélie Valat

« Tandis qu’en ceux que nous évoquions tout à l’heure
s’observait une animation méthodique, des plus régulièrement répartie,
comme si (chaque cellule tournant certes très vite, à la façon d’une turbine ou d’un moteur) l’ensemble (y compris les hommes employés à l’intérieur) donnait l’idée mettons d’une grande plaie où brûlure superficielle en train merveilleusement de se cicatriser (ainsi quelque centrale électrique ou atelier de métallurgie), c’est tout autre chose qu’évoque, dans ceux dont nous parlons maintenant,
l’activité spasmodique, parfois accélérée, souvent ralentie,
le comportement et la figure même de l’être que nous y observons.
Voyez ces yeux, leur expression muette, ces gestes lents
et ces précautions ; et cet empêtrement ; et parfois même, cette immobilité pathétique des nymphes.
Ah ! pour nous expliquer au plus vite, disons qu’il s’agit ici,
sur le corps de certains bâtiments, comme parfois sur la branche d’un arbre ou sur la feuille du mûrier, d’une sorte de nid d’insectes, – d’une sorte de cocons.
Et donc, bien sûr encore, d’un local ou d’un bocal organique, mais construit par l’individu lui-même pour s’y enclore longuement,
sans cesser d’y bénéficier pour autant, par transparence,
de la lumière du jour.
Et à quelle activité s’y livre-t-il donc ?
Eh bien, tout simplement (et tout tragiquement), à sa métamorphose. »