« Mais… c’est quoi, ce que tu fais, exactement ?!… »

La « Valentine » par Ettore Sottsass, pour Olivetti . ©aurelievalat.

On me pose régulièrement cette question lorsque je dis que je travaille à partir du processus créatif, en me servant de l’écriture

« Mais… Ça veut dire quoi… processus créatif… ça consiste en quoi ? » « Concrètement – ça se passe comment ? » « Et les gens qui viennent te voir c’est pour quoi ? » « Et donc tu écris avec eux ?! »  « Mais l’authenticité en fait, c’est le fait de…euh… c’est le fait de… de… euh.. de quoi, en fait ? »  « Oui, donc c’est comme de l’art-thérapie ton truc, non ? » 

Il me semble que la meilleur façon de répondre à toutes ces questions, c’est de tenter de poser un genre d’adn – le plus spécifique et pratique possible – des accompagnements que je propose, et, de partager les témoignages des personnes que j’ai accompagné.

Si je commence par cette idée d’adn, je dirais que mes accompagnements se déclinent à partir de cinq points de repères essentiels : l’occasionle canevasle lieu à soi l’oblique et le fondement. 

Et voici quelques lignes pour les illustrer chacun  : 

L’OCCASION.
C’est précisément cette sensation d’impasse ou de cul-de-sac. Quelque chose bloque, quelque chose peine, quelque chose résiste, quelque chose empêche…. Or donc une charnière est en présence, toute prête à nous faire passer un cap. 
La faille, le frein, le problème… Voilà exactement notre opportunité et notre point de départ. 

LE CANEVAS.
C’est notre toile, notre cadre, sur et dans lequel nous allons progresser. Il prend appui sur le processus créatif et ses différentes étapes.
– la préparation : notre temps d’investigation 
– l’incubation (intimation) : on couve, on infuse
– l’illumination : « je me saisis de quelque chose »
– la vérification (formulation) : on met à l’épreuve et on articule en vue d’incarner, de transmettre, de résonner, d’impacter. 
Et oui, le coaching se déroule sous forme d’entretiens, mais oui, j’utilise beaucoup l’écriture. Mettre l’autre en écriture, autant du point de vue du processus que du contenu. 
Et bien sur, ce processus n’est pas linéaire, il est itératif et circulaire.

LE LIEU À SOI.
C’est un concept simple, inspiré du texte de Virginia Woolf : prendre le temps de poser l’espace du coaching comme « un lieu à soi » qui pourrait ressembler autant au bureau de l’auteur, qu’à la salle de répétition de l’acteur, qu’à l’atelier de l’artiste-artisan.
C’est son lieu de recherche et d’élaboration.
En s’appuyant autant sur notre intelligence corporelle, que nos capacités intellectuelles, que notre savoir-faire. 

L’OBLIQUE.
C’est une façon d’approcher le problème de biais, à sa périphérie.
Disons presque qu’on le contourne, qu’on le piège – sans plus trop se questionner sur le pourquoi ni ses supposées origines.
On le met à l’extérieur de soi et on prend appui sur lui.
On se sert par exemple, d’une présentation à faire ou d’une transition à opérer, d’une difficulté relationnelle ou d’un projet à élaborer…
Pour traiter un enjeu plus profond comme sa posture, sa place, sa communication, sa vision…
Si je devais poser une image, je dirais que l’on va se concentrer sur le moteur – ou tout autre partie du véhicule – pour en venir à modifier sa conduite.

Et enfin, LE FONDEMENT.
Il s’agit fondamentalement de reprendre la main sur son récit, sa narration. Retrouver son aptitude d’auteur-interprète et sa créativité.
Son espace de jeu, entre espace normé, contraint et espace plus vivant, plus libre.
Et la joie qui accompagne cette réappropriation : entre émancipation et autonomie. Avec ce sentiment de puissance et de créativité déployée. 

J’ai pris l’habitude de demander à mes coachés de m’écrire un témoignage à l’issue de notre collaboration.
Comme une trace, une inscription, autant pour eux, que pour moi.
Vous en trouverez certains sur mon site. Il me semble quils éclairent vraiment le process et donne à mieux comprendre de quoi il s’agit.  

Aujourd’hui, j’ai souhaité en mettre un particulièrement en lumière, car il illustre bien une dimension des accompagnements que je propose, entre coaching et écriture.

Gwénaëlle, architecte, est venue me voir avec le désir d’écrire un texte décrivant tout l’itinéraire d’un projet d’architecture particulièrement emblématique de son agence.
L’objectif était de pouvoir éditer un bel objet-livre représentant son travail dans toutes ses dimensions.
Un outil de communication en somme. 

Ce qui a été puissant et passionnant, c’est qu’en se focalisant sur un projet spécifique de son agence, avec cet objectif de livre à élaborer, elle en est venue à cheminer et à se développer sur sa posture-même de professionnelle, son approche d’architecture et sa communication à plusieurs niveaux.  

Je la remercie infiniment de sa confiance et d’avoir accepté de partager ainsi son généreux témoignage.
Car pour ma part, outre le grand bonheur que ça a été de collaborer avec elle, sa demande s’est située très précisément au cœur de mon dispositif d’accompagnement.

TÉMOIGNAGE de Gwénaëlle Morice -Studio la Boétie Architecte :

« Mon projet : concevoir un outil de communication pour présenter la singularité de mon activité d’architecte afin de cibler des maîtres d’ouvrage en parfaite adéquation avec mes méthodes de travail, mon terrain d’expertise et ma sensibilité.
Mon objectif était clair, la mise en forme l’était moins.
Mes idées s’accumulaient et s’entrechoquaient les unes aux autres et je ne parvenais pas à les assembler dans le bon ordre pour écrire.
J’ai contacté Aurélie Valat pour m’accompagner dans cette réalisation et m’aider à structurer le contenu et rédiger le propos afin d’aboutir à un outil au plus proche de mon objectif.

Je m’attendais à délivrer mon chaos interne en bloc et de façon instinctive à Aurélie afin qu’elle puisse en extraire l’essentiel et le mettre en forme.
D’une certaine façon je souhaitais me décharger de ce que je ressentais comme un fardeau trop lourd à porter seule, je souhaitais que quelqu’un organise ma pensée à ma place.
Je pris conscience bien plus tard que je demandais à Aurélie de recueillir le raisin fraichement cueilli par mes soins et d’en faire seule un grand cru. J’oubliais à ce moment-là qu’un grand cru naît du travail du temps, de la qualité et de la singularité de la terre et de l’engagement des hommes qui par leur travail, leur méticulosité, permettent ensemble que s’opère la vinification dans les règles de l’art.
Il s’agit là du respect d’un processus, d’un engagement de l’homme pour aboutir à une réalisation. 

J’ai 40 ans et dirige une entreprise d’architecture depuis plus de dix ans.

Ma terre est riche certes, mon raisin est de qualité mais sans Aurélie, sans sa perspicacité, sans sa détermination, sans son obstination à me faire dire les mots justes, articulés avec précisions il n’y aurait pas eu de grand cru.
J’ai perçu au terme de ce voyage, qu’il fallait m’engager et assumer la richesse sourde que je possédais et qui n’était en rien un fardeau.
J’ai compris au terme de nos échanges que ce sur quoi je butais, mon esprit foisonnant incapable d’organiser ses pensées, n’avait besoin que d’une chose pour dissiper la confusion, un soupçon de préparation.
Je m’attendais à recevoir un texte, j’ai rencontré une possibilité que je n’osais imaginer, organiser ma pensée de façon simple. 

Le travail final d’écriture est abouti bien au-delà de mes attentes et révèle avec subtilité et simplicité la densité de mon travail et de ma pensée.

Au terme de ce voyage, je me sens renforcée et ancrée, déterminée à poursuivre l’exercice de ma profession avec justesse, engagement et légèreté. C’est une renaissance personnelle et professionnelle, la matérialisation de 20 années de travail qui se sont révélées au travers des échanges avec Aurélie Valat.
Merci infiniment pour ces moments précieux dont je conserve précieusement en mémoire le goût du nectar. »

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J.

J comme Joie

L’ABÉCÉDAIRE DE GILLES DELEUZE, extraits

Claire Parnet : « Alors J c’est Joie
Alors c’est un concept auquel tu tiens beaucoup 
Puisque c’est un concept spinoziste
Et c’est Spinoza qui a fait de la Joie un Concept de résistance et de vie
« Évitons les passions tristes et vivons avec la joie pour être au maximum de notre puissance. Donc il faut fuir la résignation, la mauvaise conscience, la culpabilité, tous les affects tristes qu’exploitent prêtres, juges et psychanalystes. »
Donc, on voit tout à fait ce qui pouvait te plaire dans tout ça.
Alors, D’abord je voudrais que tu distingues la joie de la tristesse, et pour Spinoza et forcément pour toi. Est-ce que la distinction de Spinoza d’abord, est totalement la tienne, est-ce que tu as trouvé quelque chose le jour où tu as lu ça ?

Gilles Deleuze : « Oh oui parce que c’est les textes alors les plus extraordinairement chargés d’affect, chargé d’affect chez Spinoza.
Ça revient à dire il me semble, je simplifie beaucoup, mais ça revient à dire,
La joie c’est tout ce qui consiste à remplir une puissance.
(Voilà)
Vous éprouvez de la joie lorsque vous remplissez, lorsque vous effectuez une œuvre de puissance.
Alors qu’est-ce que c’est ?… Bon, bien, revenons à nos exemples…
« Je conquiers si peu que ce soit un morceau de couleur, j’entre un peu dans la couleur »
Tu te rends compte la joie que ça peut être ?… C’est ça, 
C’est ça remplir une puissance, effectuer une puissance.
J’ai rempli une puissance…
Mais alors, C’est le mot puissance qui est équivoque
Au contraire, la tristesse c’est quoi ?  C’est lorsque je suis séparé d’une puissance que, à tort ou à raison, ou dont à tort ou à raison je me croyais capable 
« Aaah j’aurais pu faire ça… mais aaah… les circonstances ou bien, ou bien c’était pas permis, ou bien etc… » 
Alors là, c’est la tristesse.
Il faudrait dire, toute tristesse est l’effet d’un pouvoir sur moi 
(cut technique)
Oui je dis, effectuer quelque chose de sa puissance c’est toujours bon
C’est ce que dit Spinoza
Évidemment ça pose des problèmes et il faut des précisions, 
C’est que… y’a pas de puissance mauvaise quoi 
Pas de puissance mauvaise
Ce qui est mauvais c’est… c’est pas, ce qui est mauvais ou bien, ce qui est mauvais, il faudrait dire, c’est le plus bas degré de la puissance 
Et le plus bas degré de la puissance c’est le pouvoir
Je vais dire, la méchanceté c’est quoi ? c’est empêcher quelqu’un de faire ce qu’il peut, 
La méchanceté c’est empêcher quelqu’un de faire, d’effectuer sa puissance 
Si bien que y’a pas de puissances mauvaises, y’a des pouvoirs méchants
Et Peut-être que… tout pouvoir est… peut-être que tout pouvoir est méchant par nature pas forcément, c’est peut-être trop facile de dire ça…
(…)
Je ne connais pas de puissance qui soit méchante
Exemple : typhon, il ne se réjouit pas d’abattre les maisons, il se réjouit d’être
Se réjouir c’est se réjouir d’être ce qu’on est
C’est à dire d’être arrivé là où on en est
Alors c’est pas la joie de soi-même 
C’est pas d’être content de soi, la joie
Pas du tout, c’est pas le plaisir d’être content de soi
C’est le plaisir de la conquête
Mais la conquête ça consiste pas à servir des gens
La conquête c’est par exemple pour un peintre conquérir la couleur 
Oui ça c’est une conquête, là c’est la joie 
Même si ça tourne mal, parce que dans ces histoires de puissance quand on conquiert une puissance ou quand on conquiert quelque chose dans une puissance, ça risque d’être trop puissant pour la personne même
Donc il craquera…



R.

Regard Crétois

Nikos Kazantzakis – Lettre au Greco, extraits

Fresque du Jeu du Taureau, Musée Archéologique d’Héraklion

Je regardais les courses de taureaux peintes sur les murs, la grâce et la souplesse de la femme, la force infaillible de l’homme, et de quel œil intrépide ils affrontaient le taureau déchaîné et jouaient avec lui.  Ils ne le tuaient pas par amour comme cela se faisait dans les religions orientales, pour se mêler à lui, ni parce que la terreur s’emparait d’eux et qu’ils ne supportaient plus de le voir ; ils jouaient avec lui avec respect, avec entêtement, sans haine. Peut-être même avec reconnaissance : parce que cette lutte sacrée avec le taureau aiguisait les forces du Crétois, cultivait la souplesse et la grâce de son corps, la précision ardente et lucide de ses gestes, l’obéissance de sa volonté et la vaillance, si difficile à acquérir, qu’il faut pour affronter sans être envahi par l’épouvante la puissance effrayante de la bête. C’est ainsi que les Crétois ont transposé l’épouvante et en ont fait un jeu sublime, où la vertu de l’homme au contact direct de la toute-puissance absurde, se tendait et triomphait. Elle triomphait sans anéantir le taureau parce qu’elle ne le considérait pas comme un ennemi mais comme un collaborateur, sans lui le corps ne serait pas devenu si souple, si puissant, ni l’âme si vaillante. 
Il faut sûrement, pour avoir la force de soutenir la vue de la bête et de jouer un jeu si dangereux, un grand entraînement physique et spirituel ; mais une fois que l’on a acquis cet entraînement et que l’on est entré dans le climat du jeu, chacun de vos gestes devient simple, ferme, détendu, et votre œil contemple sans épouvante l’épouvante. 

L’Acrobate, Musée Archéologique d’Héraklion