« Revue de lecture. »

« La liberté suspensive offerte par la marche. »

« La liberté en marchant c’est de n’être personne. »

« Se délester du fardeau des soucis, oublier un temps ses affaires. »

« La marche seule parvient à nous libérer des illusions de l’indispensable. »

« Entailler l’opacité du monde. »

« L’appel du sauvage. »

« Une force pure au milieu des grands arbres. »

« L’évidence retrouvée du silence, d’abord comme transparence. Tout est calme, attentif et tout repose. »

« Le marcheur se rendant présent à la présence. »

« Marcher. Cela saisit d’abord, comme une immense respiration des oreilles : on reçoit le silence comme un grand vent frais qui chasse les nuages. »

« Marcher fait taire soudain les rumeurs et les plaintes, arrête l’interminable bavardage intérieur par lequel sans cesse on commente les autres, on s’évalue soi-même, on recompose, on interprète. »

« Marcher fait taire l’indéfini soliloque où remontent les rancoeurs aigres, les contentements imbéciles, les vengeances faciles. »

« Ne devenir plus qu’un corps interminablement marchant. »

« À sa cadence. »

« Parce qu’il s’agit bien, en marchant, de trouver son rythme fondamental, et de le garder. »

« Parce qu’aller à son pas, ce n’est pas marcher de manière absolument uniforme, totalement régulière. »

« Accompagner le temps, se mettre à son pas comme on fait avec un enfant. »

« Une fois dehors, le corps va à son rythme et l’esprit se sent libre, c’est-à-dire disponible. »

« Redécouvrir la légèreté de vivre, la douceur d’une âme librement accordée à elle-même et au monde. »

« Sa profonde harmonie intérieure. »

« La disponibilité, c’est une synthèse rare d’abandon et d’activité. »

« Penser en marchant, marcher en pensant, et que l’écriture ne soit que la pause légère. »

« On n’écrit bien qu’avec ses pieds. » (Nietzsche – Le Gai Savoir)

« Il est vain de s’asseoir pour écrire quand on ne se s’est jamais levé pour vivre. » (Thoreau – Journal)

« Marcher longtemps pour retrouver en lui l’homme d’autrefois, le premier homme. »

« Il faut marcher longtemps pour réapprendre à s’aimer. »

« Le sol apaisait, fortifiait, lavait et guérissait. » (Chef Luther Standing Bear – Pieds nus sur la terre sacrée)

« C’est toujours de soi-même qu’on fait expérience. »

« L’épreuve de sa propre consistance. »

« Pendant plusieurs jours, j’habite un paysage, j’en prends lentement possession, j’en fais mon site. »

« Le paysage est un paquet de saveurs, de couleurs, où le corps infuse. »

« Marcher, cela fait imprégnation. »

« Le corps devient pétri de la terre qu’il foule. »

« Il n’est plus dans le paysage : il est le paysage. »

« Tout paysage absolument grandiose à la fois terrasse et traverse d’une énergie victorieuse celui qui l’a conquis en marchant. »

« L’exténuation et l’extase. »

« La joie simple d’éprouver son corps dans l’activité la plus archaïquement naturelle. »

« Le corps respire doucement, je vis et je suis là. »

« Par elle-même la marche, comme elle prend du temps, installe la présence. »

« Quand on se trouve au pied d’une montagne, si on l’a approchée de loin, ce n’est pas seulement l’oeil qui perçoit une image : le corps dans sa chair et ses muscles, s’en est nourri longtemps. »

« Tout ce qui me libère du temps et de l’espace m’aliène à la vitesse. »

« La lenteur est surtout le contraire de la précipitation. »

« L’illusion de vitesse, c’est de croire qu’elle fait gagner du temps. »

« La lenteur, c’est de coller parfaitement au temps, à ce point que les secondes s’égrènent, font du goutte à goutte comme une petite pluie sur la pierre. »

« Je suis un piéton, rien de plus. » (Rimbaud)

« En avant, route ! » (id.)

« Allons ! » (id.)

« Ce sens de marcher comme fuir. »

« Cette joie profonde, toujours, qu’on a en marchant, de laisser derrière soi. »

« Et cette joie immense, complémentaire, de la fatigue, de l’exténuation, de l’oubli de soi et du monde. »

« La marche permet donc ces moments de solitude partagée. parce que la solitude aussi se partage, comme le pain et le jour. »

« Il faut être seul pour marcher. au-delà de cinq, impossible de partager la solitude. »

« Marcher le matin, c’est comprendre la force des commencements naturels. »

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R.

Regard Crétois

Nikos Kazantzakis – Lettre au Greco, extraits

Fresque du Jeu du Taureau, Musée Archéologique d’Héraklion

Je regardais les courses de taureaux peintes sur les murs, la grâce et la souplesse de la femme, la force infaillible de l’homme, et de quel œil intrépide ils affrontaient le taureau déchaîné et jouaient avec lui.  Ils ne le tuaient pas par amour comme cela se faisait dans les religions orientales, pour se mêler à lui, ni parce que la terreur s’emparait d’eux et qu’ils ne supportaient plus de le voir ; ils jouaient avec lui avec respect, avec entêtement, sans haine. Peut-être même avec reconnaissance : parce que cette lutte sacrée avec le taureau aiguisait les forces du Crétois, cultivait la souplesse et la grâce de son corps, la précision ardente et lucide de ses gestes, l’obéissance de sa volonté et la vaillance, si difficile à acquérir, qu’il faut pour affronter sans être envahi par l’épouvante la puissance effrayante de la bête. C’est ainsi que les Crétois ont transposé l’épouvante et en ont fait un jeu sublime, où la vertu de l’homme au contact direct de la toute-puissance absurde, se tendait et triomphait. Elle triomphait sans anéantir le taureau parce qu’elle ne le considérait pas comme un ennemi mais comme un collaborateur, sans lui le corps ne serait pas devenu si souple, si puissant, ni l’âme si vaillante. 
Il faut sûrement, pour avoir la force de soutenir la vue de la bête et de jouer un jeu si dangereux, un grand entraînement physique et spirituel ; mais une fois que l’on a acquis cet entraînement et que l’on est entré dans le climat du jeu, chacun de vos gestes devient simple, ferme, détendu, et votre œil contemple sans épouvante l’épouvante. 

L’Acrobate, Musée Archéologique d’Héraklion
A.

Atelier de réparation

L’Atelier Contemporain – Fancis Ponge

©Aurélie Valat

« Tandis qu’en ceux que nous évoquions tout à l’heure
s’observait une animation méthodique, des plus régulièrement répartie,
comme si (chaque cellule tournant certes très vite, à la façon d’une turbine ou d’un moteur) l’ensemble (y compris les hommes employés à l’intérieur) donnait l’idée mettons d’une grande plaie où brûlure superficielle en train merveilleusement de se cicatriser (ainsi quelque centrale électrique ou atelier de métallurgie), c’est tout autre chose qu’évoque, dans ceux dont nous parlons maintenant,
l’activité spasmodique, parfois accélérée, souvent ralentie,
le comportement et la figure même de l’être que nous y observons.
Voyez ces yeux, leur expression muette, ces gestes lents
et ces précautions ; et cet empêtrement ; et parfois même, cette immobilité pathétique des nymphes.
Ah ! pour nous expliquer au plus vite, disons qu’il s’agit ici,
sur le corps de certains bâtiments, comme parfois sur la branche d’un arbre ou sur la feuille du mûrier, d’une sorte de nid d’insectes, – d’une sorte de cocons.
Et donc, bien sûr encore, d’un local ou d’un bocal organique, mais construit par l’individu lui-même pour s’y enclore longuement,
sans cesser d’y bénéficier pour autant, par transparence,
de la lumière du jour.
Et à quelle activité s’y livre-t-il donc ?
Eh bien, tout simplement (et tout tragiquement), à sa métamorphose. »