Ce qui nous meut.

Aussi évident que cela puisse sembler, nous ne sommes pas égaux face à nos émotions. Que ce soit du point de vue de leur nature, que de leur manifestation.

Elles sont l’émanation directe de notre singularité

Notre expérience manifeste de l’autre, du monde et de nous-mêmes. 

Et tels des récits – des énigmes à percer – nos émotions portent en elles notre histoire.

Il est habituel de considérer qu’il y a six émotions fondamentales : la peur, la joie, le dégoût, la tristesse, la colère et la surprise. 
Et qu’après, viennent des émotions plus complexes : la honte, l’envie, l’amour, l’empathie…
D’ailleurs, à l’heure actuelle, il n’existe aucune preuve empirique de l’existence d’un nombre limite d’émotions biologiquement déterminées

Quand on cherche l’étymologie de ce mot dans différents dictionnaires, on tombe sur la racine latine emovere : mettre en mouvement. 
Et motio : mouvement, trouble, frisson (de fièvre).
Viennent ensuite, les notions de bouleversement, secousse, saisissement. Vécues simultanément au niveau du corps et au niveau affectif. 
Avec des réactions qui peuvent aller de l’extase esthétique ou spirituelle – quand mystère et beauté du monde nous touchent – à la paralysie ou autres manifestations plus explosives. 

En somme : ce sont des visiteuses qui nous mettent en mouvement. 

Car nous ne sommes pas l’émotion ressentie, elle nous traverse, c’est tout. 

Dès lors, retrouver une forme d’hospitalité et de bienveillante curiosité face à leurs surgissements, semble une voie enrichissante à explorer. (Pas de façon systématique, bien sûr – de temps à autre, quand « un.e invité.e de choix » frappe à notre porte.)

Car aussitôt, nous refaisons une expérience intéressante : celle de la distance. 

La distance qui nous sépare de toute chose, de l’autre, du vivant. 
Et donc de cet espace – ce lieu – qu’il y a « entre » l’autre et moi, qui à la fois me relie à lui et me différencie de lui.
Or qui dit espace, dit temps. Et même, tempo. 
Notre tempo personnel – notre façon d’investir un espace à notre rythme. 
Notre autonomie, d’une certaine façon. 

Et c’est alors, que nos ressources peuvent se mobiliser, notre potentiel créatif s’activer : nous nous réapproprions notre aptitude à nous ajuster, à trouver des solutions, des idées… L’émotion n’est plus cette chose envahissante ou dérangeante, que l’on souhaite chasser, masquer. 
Ainsi accueillie, observée et remise à sa juste distance, l’émotion nous offre une ouverture et devient générateur d’énergie.

Telle une intime étrangère que nous aurions accueillie à notre table, prenant le temps d’écouter le récit de son voyage, « l’émotion » viendrait éclairer notre perception, l’enrichissant d’autres dimensions

Un peu comme ces rayons lumineux qui font vibrer la surface de l’eau et donnent aux mouvements de l’onde leur fascinante complexité.

Sources : 
L’émotion – Contribution à l’étude psychodynamique du développement de la pensée de l’enfant sans langage en interaction – Philippe ClaudonMargot Weber – Dans Devenir 2009/1 (Vol. 21), pages 61 à 99 // Petit Larousse, Le Robert, Littré, cnrtl.
Crédit Photo : Aurélie Valat

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M.

Marcher

« Revue de lecture. »

« La liberté suspensive offerte par la marche. »

« La liberté en marchant c’est de n’être personne. »

« Se délester du fardeau des soucis, oublier un temps ses affaires. »

« La marche seule parvient à nous libérer des illusions de l’indispensable. »

« Entailler l’opacité du monde. »

« L’appel du sauvage. »

« Une force pure au milieu des grands arbres. »

« L’évidence retrouvée du silence, d’abord comme transparence. Tout est calme, attentif et tout repose. »

« Le marcheur se rendant présent à la présence. »

« Marcher. Cela saisit d’abord, comme une immense respiration des oreilles : on reçoit le silence comme un grand vent frais qui chasse les nuages. »

« Marcher fait taire soudain les rumeurs et les plaintes, arrête l’interminable bavardage intérieur par lequel sans cesse on commente les autres, on s’évalue soi-même, on recompose, on interprète. »

« Marcher fait taire l’indéfini soliloque où remontent les rancoeurs aigres, les contentements imbéciles, les vengeances faciles. »

« Ne devenir plus qu’un corps interminablement marchant. »

« À sa cadence. »

« Parce qu’il s’agit bien, en marchant, de trouver son rythme fondamental, et de le garder. »

« Parce qu’aller à son pas, ce n’est pas marcher de manière absolument uniforme, totalement régulière. »

« Accompagner le temps, se mettre à son pas comme on fait avec un enfant. »

« Une fois dehors, le corps va à son rythme et l’esprit se sent libre, c’est-à-dire disponible. »

« Redécouvrir la légèreté de vivre, la douceur d’une âme librement accordée à elle-même et au monde. »

« Sa profonde harmonie intérieure. »

« La disponibilité, c’est une synthèse rare d’abandon et d’activité. »

« Penser en marchant, marcher en pensant, et que l’écriture ne soit que la pause légère. »

« On n’écrit bien qu’avec ses pieds. » (Nietzsche – Le Gai Savoir)

« Il est vain de s’asseoir pour écrire quand on ne se s’est jamais levé pour vivre. » (Thoreau – Journal)

« Marcher longtemps pour retrouver en lui l’homme d’autrefois, le premier homme. »

« Il faut marcher longtemps pour réapprendre à s’aimer. »

« Le sol apaisait, fortifiait, lavait et guérissait. » (Chef Luther Standing Bear – Pieds nus sur la terre sacrée)

« C’est toujours de soi-même qu’on fait expérience. »

« L’épreuve de sa propre consistance. »

« Pendant plusieurs jours, j’habite un paysage, j’en prends lentement possession, j’en fais mon site. »

« Le paysage est un paquet de saveurs, de couleurs, où le corps infuse. »

« Marcher, cela fait imprégnation. »

« Le corps devient pétri de la terre qu’il foule. »

« Il n’est plus dans le paysage : il est le paysage. »

« Tout paysage absolument grandiose à la fois terrasse et traverse d’une énergie victorieuse celui qui l’a conquis en marchant. »

« L’exténuation et l’extase. »

« La joie simple d’éprouver son corps dans l’activité la plus archaïquement naturelle. »

« Le corps respire doucement, je vis et je suis là. »

« Par elle-même la marche, comme elle prend du temps, installe la présence. »

« Quand on se trouve au pied d’une montagne, si on l’a approchée de loin, ce n’est pas seulement l’oeil qui perçoit une image : le corps dans sa chair et ses muscles, s’en est nourri longtemps. »

« Tout ce qui me libère du temps et de l’espace m’aliène à la vitesse. »

« La lenteur est surtout le contraire de la précipitation. »

« L’illusion de vitesse, c’est de croire qu’elle fait gagner du temps. »

« La lenteur, c’est de coller parfaitement au temps, à ce point que les secondes s’égrènent, font du goutte à goutte comme une petite pluie sur la pierre. »

« Je suis un piéton, rien de plus. » (Rimbaud)

« En avant, route ! » (id.)

« Allons ! » (id.)

« Ce sens de marcher comme fuir. »

« Cette joie profonde, toujours, qu’on a en marchant, de laisser derrière soi. »

« Et cette joie immense, complémentaire, de la fatigue, de l’exténuation, de l’oubli de soi et du monde. »

« La marche permet donc ces moments de solitude partagée. parce que la solitude aussi se partage, comme le pain et le jour. »

« Il faut être seul pour marcher. au-delà de cinq, impossible de partager la solitude. »

« Marcher le matin, c’est comprendre la force des commencements naturels. »

A.

Authenticité

L’authenticité, qu’est-ce que c’est ?

Que de mal on se donne avant de prendre son originalité chez soi, tout simplement. »

Notes sur le métier d’écrire, Jules Romain 
©Aurélie Valat

Du grec ancien authentikós : “se détermine par sa propre autorité”. 

Qui au-delà des apparences, exprime, manifeste, reflète, une vérité profonde de l’individu et non des habitudes superficielles, des conventions.

Qui est de façon certaine l’œuvre de telle personne (auteur, artiste) : non altéré, pur.

Son être le plus vrai, sa personnalité la plus profonde.

Être authentique, c’est donner de la profondeur à ce que l’on fait.